The Last of Us Part II, qui sortira exclusivement sur PlayStation 4 le 19 juin après moult reports, est aussi attendu que critiqué. Attendu, d’une part, car il est la suite d’un plébiscite, ayant remporté pléthore de prix dont cinq BAFTA Awards. Critiqué, d’autre part, pour son scénario ouvertement LGBT et pour son développement supposément chaotique.
Il est de ces jeux vidéo qui créent la polémique. The Last of Us Part II, dont la sortie a été fixée au 19 juin après de nombreux reports, vient d’être victime d’une fuite massive de son scénario. Elle aurait été provoquée par l’un de ses développeurs, qui se plaignait d’être en burn-out pour cause de « crunch » (un travail jour et nuit pour respecter une date de sortie fixée, NDLR). D’abord cantonnée à quelques vidéos YouTube, cette fuite a été massivement et volontairement relayée sur Twitter et de multiples forums, par des internautes considérant le titre trop progressiste et trop « woke » (sensible aux injustices sociales, NDLR). Une situation quasi inédite qui questionne sur les conditions de travail dans l’industrie et sur l’ouverture d’esprit des gamers de tous bords.
The Last of Us Part II, une production Naughty Dog (Uncharted, Crash Bandicoot, Jak and Daxter…) et exclusivité PlayStation 4, est l’un des titres les plus attendus de l’année. Il succède en effet au jeu le plus abouti techniquement de la génération passée, The Last of Us (TLOU), plébiscité par la critique et par les joueurs. Mais surtout, il prolonge la bouleversante relation de deux personnages devenus iconiques : celle d’Ellie, une jeune adolescente, et de Joël, un quinquagénaire qui a perdu sa fille 20 ans plus tôt, au tout début d’une épidémie virale mortelle. Dans ce monde post-apocalyptique peuplé d’infectés, Joël va découvrir qu’Ellie est immunisée et présente des pistes pour un potentiel traitement. Les deux protagonistes vont parcourir les Etats-Unis d’Est en Ouest dans le but de rejoindre le seul laboratoire restant dans le pays. On ne vous révélera rien de la fin du récit, mais quelques années plus tard, Ellie a bien grandi et a découvert son homosexualité qui l’amènera, dès la première bande-annonce de TLOU 2, au cœur d’une polémique cette fois-ci bien réelle.
Habitués à incarner des mâles bien virils (Joël dans TLOU 1, Arthur Morgan dans Red Dead Redemption 2, Kratos dans God of War, etc), les gamers du monde entier restent bouche bée devant les premières images du jeu, diffusées en plein E3 (le salon mondial du jeu vidéo, NDLR) : Ellie, remplaçant Joël en tant que personnage jouable, embrasse de longues secondes une nouvelle protagoniste, en un gros plan photoréaliste, avant de céder sa place à une scène d’action d’une rare violence. Si les médias spécialisés saluent la “prise de position” de Naughty Dog, félicitent la technique qui a rendu possible ce baiser, une importante frange de joueurs lève ses boucliers. Sur les forums, c’est la cavalcade : “Et vas-y qu’on nous impose des scènes homosexuelles même dans TLOU 2… ça me dégoute” ; “Encore un truc de Social Justice Warriors, on se croirait sur Netflix” ; “L’homosexualité ne concerne pas une majorité de gens… donc les relations homo on s’en fout, non?” ; “Je n’achèterai pas cette propagande progressiste.”
Le jeu vidéo a majoritairement échappé aux principaux débats de société de ces dernières années. Le média a depuis sa naissance fonctionné de façon binaire : les personnages mâles, musclés, virils, font preuve d’héroïsme ; les femmes, séduisantes, féminines et avec de fortes poitrines, ne peuvent vaincre seule. Alors oui, on note quelques exceptions à la règle, telles que Lara Croft, de Tomb Raider, ou Aloy, de Horizon Zero Dawn. Mais elles sont devenues, avec le temps, plus des fantasmes de pixels que des personnages iconiques, comme l’indique avec justesse France Culture.
Alors quand vient la question de la représentativité, de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, l’univers du gaming implose. Pourtant, cette industrie est l’une des plus diversifiées au monde, comme l’indique une étude de l’université de Sheffield relayée par The Guardian. Au Royaume-Uni, les deux tiers des développeurs de jeux vidéo ont moins de 35 ans, 28% d’entre eux sont des femmes (15 à 20% dans le monde selon jeuxvideo.com), 28% indique venir de l’étranger, et 21% des sondés s’identifient à la communauté LGBTQ+, alors que seulement 3 à 7% de la population l’affirme.
Les joueurs, eux, ne démordent pas. “TLOU 2 sera mauvais car il est politisé, point”, tente de convaincre jesseeht sur le forum Guerre des Consoles de jeuxvidéo.com. “Le souci c’est pas tellement qu’un jeu est politique en fait, c’est quand il devient partisan”, lui rétorque MyseryCorde. “Incarner une femme lesbienne n’est pas une tare”, analyse Papaychum, joueur et fan du premier épisode. “C’est le fait de catégoriser, et de faire des hommes blancs, ceux-là même qui vont majoritairement acheter et jouer au jeu, des ennemis en se fondant sur leur seule couleur de peau”. Sans spoil aucun, les toutes dernières fuites du scénario donnent raison à Papaychum : The Last of Us Part 2 racontera grosso modo la quête de vengeance d’une femme homosexuelle face à une secte religieuse. “On a l’impression qu’il existe un courant qui veut abattre l’homme cisgenre. La diversité, ok, mais pourquoi Neil Druckmann a décidé de faire de nous des antagonistes ?”
Car derrière toute cette polémique se dresse un homme : Neil Druckmann. Le vice-président de Naughty Dog a publié ce mercredi en story Instagram une citation de Kurt Cobain, en réaction aux propos haineux concernant son scénario : “Si l’un d’entre vous hait les homosexuels, les gens d’une couleur différente, ou les femmes, faites-nous une faveur : laissez-nous tranquille ! Ne venez pas à nos concerts, et n’achetez pas nos disques”. Affaire close pour le réalisateur israélo-américain. Mais il n’a pas répondu à l’autre fait qu’on lui reproche : celui d’imposer le “crunch” chez Naughty Dog.
Neil Druckmann est très ambitieux pour les titres Naughty Dog
Jason Schreier du célèbre journal Kotaku a interrogé plusieurs développeurs du studio en mars dernier, et chacun indique une surcharge de travail qui les pousse à travailler jusqu’à… 100 heures par semaine. “Le studio embauche ses développeurs sur leur degré de motivation, car il recherche des personnes capables d’effectuer de nombreuses heures supplémentaires”, confesse un employé. “Les reports imposés jusqu’ici (TLOU 2 a été reporté trois fois, NDLR) n’étaient pas effectués pour soulager notre charge de travail, au contraire. Ils (les directeurs du studio) voulaient à tout prix que l’on garde le rythme”, indique un autre. A l’annonce du 2e report, Neil Druckmann, devenu vice-président du studio en 2018 après une série de départs volontaires, avait déploré que TLOU 2 n’était pas à la hauteur des autres productions de Naughty Dog : “Nous aurions souhaité pouvoir prévoir la quantité d’améliorations dont nous avions besoin, mais la taille et la portée de ce jeu ont eu raison de nous. Nous détestons décevoir nos fans et pour cela, nous sommes désolés.”
Ce crunch aurait été la cause de la massive fuite du scénario, qui s’est produite dans la nuit de dimanche à lundi. Si, pour l’instant, son auteur n’a pas été identifié, les captures d’écran diffusées ça et là montre l’affichage d’outils de pré-production, preuve qu’il fait partie de l’équipe de développement.
Les ventes de The Last of Us Part II souffriront-elles de ces polémiques ? En 2018, Battlefield V, portant sur la Seconde Guerre Mondiale, avait enregistré les plus faibles ventes de l’histoire de la saga en raison d’une bande-annonce présentant des femmes soldats et des éléments anachroniques. Contrairement à Red Dead Redemption 2, titre de Rockstar Games “crunché” tout sauf inclusif, qui a été vendu à plus de 35 millions d’exemplaires.
Steve Tenré
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